ESCHENTZWILLER – Eglise Saints-Pierre-et-Paul
Photo : J.P.Lerch
Jean-André Silbermann
1738
Classé au titre des Monuments historiques en 1987 (partie instrumentale) et 2015 (buffet)
Les orgues du Couvent des Unterlinden avant Silbermann
Faute de documents d’archives, l’histoire ancienne des orgues du couvent des Unterlinden à Colmar est très lacunaire. II semble qu’il y ait eu deux instruments, l’un posé en tribune et l’autre plus petit probablement placé dans le chœur.
Le premier orgue cité par les archives n’est pas antérieur à 1594, date à laquelle le facteur d’orgues Hans Werner Mudderer, actif à Fribourg-en-Brisgau de 1571 à 1622, livra un petit orgue que Silbermann qualifia plus tard de «vieux petit positif- altes Positivlein».
En 1731, les moniales prirent contact avec le facteur strasbourgeois Andreas Silbermann pour reconstruire l’orgue de tribune, un instrument plus important mais délabré, en réutilisant une partie de la tuyauterie existante. Silbermann avait été recommandé par les Dominicains de Colmar, pour lesquels il avait livré en 1726 un de ses chefs-d’œuvre, actuellement conservé à Niedermorschwihr. Mais le facteur ne donna pas suite à ce projet, évoquant un manque de temps et refusant de réutiliser de la tuyauterie plus ancienne. Les Dominicaines firent alors affaire avec un facteur allemand, un artisan souabe de Rottweil, qui confectionna un buffet neuf en chêne, dont la façade assez lourde est dessinée dans les archives Silbermann, et un sommier neuf, mais qui réutilisa l’essentiel de la tuyauterie existante.
L’ancien orgue du couvent des Unterlinden, tel qu’il a été dessiné par Johann Andreas Silbermann avant son démontage à la fin de l’année 1737.
Mais lorsque les trois premiers jeux eurent été posés, les sœurs s’aperçurent que leur artisan était un incapable. Elles le congédièrent et firent affaire avec Jean-Baptiste Waltrin, fils d’un facteur d’orgues strasbourgeois originaire de Lorraine, alors établi en Haute-Alsace. Celui-ci coupa en deux le sommier et descendit les quatre soufflets (de 6′ x 2′ 7″), qui jusqu’alors étaient installés sur une petite tribune, en en plaçant trois dans le soubassement et le quatrième dans une niche percée dans le mur.
La composition de l’orgue Waltrin était la suivante, telle qu’elle fut notée par Silbermann :
Mais malgré l’aide de son père Joseph, Jean-Baptiste Waltrin ne parvint pas à faire fonctionner l’orgue durant plus de dix semaines et le petit positif du XVIème siècle fut appelé à reprendre du service. Confrontées à ce désastre, les sœurs renouèrent très rapidement le contact avec les Silbermann, en contactant cette fois le fils d’Andreas, Johann Andreas.
L’orgue Silbermann du Couvent des Unterlinden
Lorsque le vicaire général des Dominicains en Alsace lui commanda un nouvel orgue pour le couvent des Unterlinden, le 28 novembre 1736, Johann Andreas Silbermann n’était à vingt-quatre ans qu’un jeune artisan, que le décès de son père Andreas, survenu le 13 mars 1734, avait placé à la tête d’un important atelier strasbourgeois de facture d’orgues. Mais il avait été à la meilleure école dans l’entreprise familiale, au sein de laquelle il travaillait depuis l’âge de douze ans, participant au montage des instruments durant les étés et confectionnant de plus en plus la tuyauterie de métal. Il n’avait livré jusque là que de petits instruments :
- Un positif de six jeux, confectionné dès 1734, destiné à prouver qu’il était capable de construire des orgues et pas seulement des clavecins, pour contrer la rumeur colportée par ses concurrents, et qui servit d’orgue d’intérim à Saint-Thomas de Strasbourg, en 1737.
- Un petit orgue installé en septembre 1736, à Muhlbach, dans la vallée de Munster, initialement destiné à l’église de Wasselonne et commencé par son père.
- Un positif de quatre jeux qui servit d’orgue provisoire à Barr (aujourd’hui conservé au Mont-Sainte-Odile).
La confiance dont fit alors preuve l’Ordre dominicain s’explique probablement par la grande réussite de l’orgue des Dominicains de Colmar, posé durant l’été 1726 par Andreas Silbermann, alors déjà assisté par son fils.
Johann Andreas Silbermann profita d’un déplacement en Haute-Alsace, durant le montage de l’orgue de Muhlbach, pour venir prendre les mesures de la tribune, le mardi 25 septembre 1736. Le marché fut signé à Strasbourg le 28 novembre 1736 avec le père Philippe-Eugène de Surmont, vicaire général des Dominicains en Alsace, pour un montant de 1 500 couronnes de Strasbourg . Pour l’élévation du buffet, Silbermann reprit le dessin qu’il avait proposé un mois plus tôt pour l’église de Neuf-Brisach et qui ne fut pas suivi de réalisation. Ce fut sa première réalisation d’une tourelle centrale trilobée, qu’il avait élaborée dès 1733, avant même le décès de son père, et qui fut une sorte de signature sur beaucoup de ses instruments.
Photo : J.P.Lerch
La décoration sculptée fut sous-traitée à Johann August Nahl, la serrurerie à un artisan colmarien, Moßmann, qui avait déjà confectionné les serrures pour l’orgue de Marbach. Dans ses carnets, Silbermann dit avoir travaillé aux tuyaux de façade en août 1737. L’instrument fut achevé en atelier à la fin de l’automne. Il fut chargé le 21 novembre 1737 sur deux bateaux remontant l’Ill jusqu’à Colmar. Le montage fut assuré par Johann Andreas Silbermann et son frère Johann Daniel entre le 24 novembre et le 21 janvier de l’année suivante. Il dura plus longtemps que la plupart des orgues Silbermann de cette taille, en raison probablement des journées plus courtes de l’hiver.
La composition d’origine était la suivante :
Le marché annonçait un Bourdon 8 à la pédale, mais le jeu était ouvert, ce qui n’était pas antinomique avec cette appellation. A Marbach, en 1736, Silbermann prévoyait un «Bourdon en bois, ouvert, 8» à la pédale. A l’issue du montage de l’orgue d’Ensisheim en 1742, l’instrument du couvent des Unterlinden fut accordé par les deux frères Johann Daniel et Johann Heinrich Silbermann.
Les moniales furent tellement satisfaites de leur orgue Silbermann qu’elles firent ajouter un troisième clavier, un positif de dos, en 1743. Pour compléter le grand-orgue qui avait déjà quasiment une composition de positif, le positif de dos fut conçu un peu à la manière d’un récit, avec un jeu de tierce sur toute l’étendue du clavier, dont le 4′ était une Flûte conique dans les dessus et la Quinte 2 2/3 et la Doublette 2 étaient partiellement en façade, complété d’un dessus de Trompette :
Nahl étant reparti à Berlin, la décoration fut cette fois sous-traitée au sculpteur colmarien Anton Ketterer I (1692-1748), qui avait déjà travaillé plusieurs fois pour les Silbermann, à Saint-Matthieu de Colmar (1732), à Königsbrûck (1732), à Rosheim (1733) et à Ensisheim (1742). Le positif fut monté entre le 13 et le 29 mai par les deux frères Johann Andreas et Johann Heinrich, aidés d’un compagnon. Dans ses Spécifications, Silbermann précise qu’il fallut à Colmar «raccourcir les vergettes du grand orgue, modifier les abrégés et les pilotes de la pédale». Le nouveau positif fut joué pour la première fois le 2 juin 1743, dimanche de la Pentecôte.
Cet orgue de quatre pieds à trois claviers, à la composition assez inédite, fut jugé si réussi qu’un instrument semblable fut posé en 1750-1751 pour le couvent des Dominicaines de Sylo, à Sélestat. Il est encore partiellement conservé à Sundhouse. Et lorsque l’autre couvent de Dominicaines de Colmar, celui des Catherinettes, commanda en 1771 un orgue à Johann Andreas Silbermann, c’est encore la même structure à trois claviers qui servit de modèle, dans une version un peu plus développée, avec une Montre 8 au premier sol, un Larigot et un Sifflet en plus au grand-orgue, un Cromorne 8 remplacé par une basse de Basson et un dessus de Trompette, une Trompette de positif remplacé par une Fourniture 2 rangs, un Flageolet 1 en plus à l’écho, mais une pédale réduite à quatre jeux empruntés au grand-orgue (Montre 8, Bourdon 8, Prestant 4, Basson 8). Le buffet est partiellement conservé à Altkirch.
L’instrument fut régulièrement accordé. Un premier relevage intervint entre le 25 octobre et le 27 octobre 1751, par Johann Andreas aidé du compagnon Johann. Le 30 octobre, les sœurs y reçurent l’épouse de Johann Andreas, accompagné de leur fils Daniel, alors âgé de six ans. Ils repartirent le 3 novembre. Johann Andreas revint en août 1760 avec le compagnon Georg, originaire de Dresde, pour nettoyer l’instrument, astiquer la façade, accorder l’instrument et repeausser les aines des soufflets, ce qui montre que l’orgue était beaucoup utilisé par les moniales. En 1767, l’organiste Von Esch, de Saint-Martin de Colmar, recommanda le facteur Weinbert Bussy, un ancien compagnon de Louis Dubois, pour accorder l’orgue. L’organiste de Sélestat, Theobald Eppel, un ami de Silbermann, demanda à la prieure pourquoi le couvent ne demandait plus aux Silbermann d’accorder l’orgue, elle lui répondit que Von Esch lui avait garanti que Bussy savait aussi bien accorder qu’un autre facteur d’orgues. Mais lorsque Theobald Eppel revint à Colmar en septembre 1768, il découvrit que l’orgue était très mal accordé et que l’on ne pouvait vraiment bien jouer qu’en ré dièse. Pour changer le tempérament, Bussy n’avait pas hésité à couper les tuyaux et l’on trouvait encore dans l’orgue les rognures de métal des tuyaux ou des cheminées .
L’achat de l’orgue par la commune d’Eschentzwiller
A la Révolution, le couvent des Unterlinden fut fermé et l’orgue fut mis aux enchères le 29 septembre 1792. Plusieurs adjudicateurs se présentèrent pour racheter «les dites orgues et dépendances y compris les grillages en bois faisant la bordure du chœur sur le devant» :
- Jean Lantz proposa 1 000 livres,
- Ferdinand Haderbeck, d’Hattstatt, surenchérit à 1 300 livres
- V.Wittmann, de Colmar, offrit 1400 livres,
- François Meyer, maire de Fessenheim, monta à 2 500 livres,
- V. Wittmann emporta les enchères en versant finalement 3 650 livres.
Ce dernier fit une bonne affaire, puisqu’il revendit l’instrument pour plus de 4 500 livres à la commune d’Eschentzwiller. Le maître d’école de ce village avait été envoyé visiter plusieurs des instruments mis en vente : la confrérie Saint-Yves lui avait en effet payé 24 livres pour deux voyages à Luppach (dont l’orgue Bernauer a été transféré à Grentzingen), 10 livres pour un voyage à Thann et 70 livres pour trois voyages à Colmar. C’est là qu’il semble avoir porté son dévolu sur l’orgue du couvent d’Unterlinden. Le 28 octobre 1792, le conseil municipal d’Eschentzwiller décida en effet d’acheter cet instrument. On lit dans les délibérations du conseil municipal (traduction approximative) : «Le 28 vendémiaire 1792 dans la première année de la République française, nous nous sommes réunis, nous les fonctionnaires et notables municipaux, ici (dans la maison du conseil municipal) pour décider de l’achat d’un orgue. Johannes Kleinhans Theobald, fils du sacristain de notre église, donation de la confrérie de Saint-Yves, et membre de la municipalité d’Eschentzwiller, est autorisé à faire une collecte pour atteindre la somme de 5 800 livres pour l’achat d’un orgue destiné à l’église Saints-Pierre-et-Paul. Pour cet achat il doit rendre des comptes et peut aussi ramasser un peu plus d’argent… ».
L’origine de cet orgue est bien prouvée par les comptes de la confrérie Saint-Yves (traduction de l’allemand) : «A Colmar pour l’orgue du couvent des Unterlinden payé selon quittance 4577 livres 10 centimes. Au même moment pour droit d’enregistrement payé 39 livres 1 sol. A celui qui a ramené le dit orgue de Colmar pour loyer et frais payé ensemble 346 livres. Aux menuisiers de Schlierbach pour faire le garde-corps de la tribune dans l’église et pour poser l’orgue, payé 75 livres. Au facteur d’orgues de Thann pour poser et améliorer l’orgue payé selon accord et quittance 805 livres. A ces facteurs d’orgues un pourboire de 11 livres 16 sols». Ce fut donc le facteur Jean-Joachim Henry et son fils Joseph, établis à Thann, qui furent chargés de remonter l’orgue à Eschentzwiller. Mais pour 805 livres, les améliorations signalées restèrent assez modestes. Il est néanmoins possible que, dès cette date, le grand buffet ait été modifié et que la Quinte 2 ⅔ du positif ait été décalée en Prestant 4.
L’instrument durant les premières années du XIXème siècle
Vers 1807-1808, l’orgue Silbermann fut assurément joué par Martin Vogt, compositeur d’origine allemande et futur organiste de Saint-Martin de Colmar, qui était alors professeur de piano et de violon au collège privé d’Eschentzwiller, fondé et dirigé par les frères Venant-André et Alexandre-Pierre Moll.
L’instrument fut très vraisemblablement relevé en 1817 par Conrad Bloch, facteur suisse établi à Aesch, près de Baie. Lorsqu’en 1822 il s’offrit à réparer l’orgue de l’église Saint-Fridolin de Säckingen (D), il présenta une série de certificats pour ses travaux antérieurs, dont un daté du 21 mai 1817 pour la réparation, le nettoyage et l’accord d’un «orgue Silbermann de trois claviers», dans une localité non nommée.
Tant Musch, qui a retrouvé la liste de ces attestations, que Meier, qui a tenté de dresser la biographie de cet artisan, ont émis l’hypothèse qu’il s’agissait de l’orgue Silbermann d’Arlesheim, près de Baie. Mais lorsque l’on se souvient que le 10 mai 1817 Bloch signa un marché pour un orgue neuf dans le village voisin de Habsheim, à 3 km d’Eschentzwiller, un instrument de 24 jeux sur deux claviers achevé en août 1820 et dont le buffet est conservé, on peut penser qu’il est beaucoup plus vraisemblable que c’est l’orgue d’Eschentzwiller que le facteur suisse répara, nettoya et accorda entre le 10 et le 21 mai 1817.
En 1825, l’organiste titulaire était François-Henry Berger, né à Ottmarsheim le 4 octobre 1771.
La reconstruction de 1848 par les frères Burger
Longtemps ignorée des historiens de l’orgue d’Eschentzwiller, cette transformation importante n’est que très peu documentée par les archives communales et paroissiales. Dans la délibération du 6 février 1853, le conseil municipal se plaignit de manquer de ressources financières et cita la nécessité dans laquelle elle avait été placée de faire «appel au dévouement de ses habitants» pour faire «faire une réparation de 3 000 frs à l’orgue de l’église paroissiale». Dans une autre délibération, datée du 7 mai 1854, le conseil municipal parle même d’un orgue neuf: «pour prouver la bonne volonté qui anime la commune, que faute de moyens communaux, les cotisations personnelles dans cette petite localité de 900 habitants, ont acquis à la commune dans le courant de ces dernières années moyennant une somme totale de 5.000 frs une pompe à incendie, un orgue neuf, une salle d’asile, outre l’entretien régulier des indigents». En 1849 la fabrique versa 71,50 francs pour «peintures du buffet de l’orgue». Mais l’auteur de cette reconstruction n’est pas cité par les archives.
Dans le cadre de l’étude préalable à la restauration de l’orgue, rédigée en 2012 par Christian Lutz, des recherches furent entreprises pour identifier le facteur d’orgues à qui avaient été confiés ces travaux. A l’examen du matériel ancien, on pouvait affirmer que cette intervention ne pouvait être attribuée à aucun des facteurs alsaciens actifs autour de 1850 (Callinet, Stiehr, Rinkenbach, Herbuté, Frantz, Hérisé, etc.) et que les techniques de construction évoquaient davantage un facteur helvétique. Deux pistes ont alors été explorées. D’une part, il était possible que l’on ait cherché à recontacter Conrad Bloch. Mais celui-ci était décédé en 1844 à Aesch et son fils Franz Xaver, né vers 1818, ne semble pas avoir été un facteur très actif : on ne lui connaît que deux interventions, toutes deux datées de 1840, la construction d’un petit orgue pour la chapelle du château de Böttstein (CH), qui est conservé au musée des instruments de musique de Leipzig, et la réparation de l’orgue Bossart de Hermetschwil (CH). Les tuyaux de l’orgue conservés au musée sont «tous mal soudés», comme ceux d’Eschentzwiller, mais les soupapes du sommier, semblables à celles du sommier de l’orgue construit en 1826 par Conrad Bloch et très partiellement conservé à Undervelier, sont nettement différentes de celles d’Eschentzwiller. Par ailleurs, les marques à la pointe sèche photographiées dans l’orgue Abbrederis de Neu Sankt Johann et attribuées par Hans Musch à Conrad Bloch sont très différentes de celles relevées à Eschentzwiller. En revanche, la visite des orgues de Rodersdorf et de Laufon, en Suisse, a permis d’attribuer sans aucun doute possible la reconstruction de l’orgue d’Eschentzwiller aux facteurs helvétiques Burger. En particulier, les tuyaux de façade des petites plates-faces de l’orgue de Laufon présentent des aplatissages d’une forme très rare, en demi-cercle au-dessus de la bouche (ci-dessous à gauche), que l’on retrouve exactement dans les dessus de la Montre 8 d’Eschentzwiller (ci-dessus au milieu). Cette attribution a finalement été confirmée par une inscription retrouvée dans le couvercle de la laye du positif de l’orgue lors de son démontage (ci-dessous à droite).
Photo : Ch.Lutz
Photo : Ch.Lutz
Photo : Ch.Lutz
La reconstruction par les facteurs Burger porta sur les points suivants :
- Suppression totale de l’écho.
- Déplacement du sommier et des tuyaux du positif derrière le grand buffet et installation d’une console indépendante dans le buffet du positif. Pour pouvoir utiliser le sommier du positif de dos de Silbermann pour leur positif intérieur, les frères Burger ont construit une nouvelle laye sous la grille et ont confectionné un nouvel abrégé
- Ajout de deux chapes et de cinq notes au sommier du positif.
- Construction d’un sommier neuf pour le grand-orgue, de 54 notes.
- Construction d’un sommier neuf pour la pédale, de 25 notes.
- Élargissement du grand buffet.
- Installation de 12 jeux neufs.
Ces transformations se firent probablement sur les conseils de Charles Kienzl, organiste et compositeur d’origine autrichienne, établi à Guebwiller, qui s’était marié en 1831 à Eschentzwiller et revenait souvent dans le village.
Voici la nouvelle composition de l’instrument :
Bien entendu ces modifications musicales se sont accompagnées d’une profonde métamorphose esthétique :
Photo : Ch.Lutz
Les transformations de Berger
Des réparations furent entreprises en 1862, pour 275 francs, et en 1863, pour 551,05 francs, confiées cette fois à Jean-Frédéric Verschneider. En 1876, on versa 600 marks à un facteur non nommé, pour un renouvellement du soufflet. Une autre réparation anonyme est citée en 1884-1885, pour 240 marks. Plus importante fut l’intervention de Joseph-Antoine Berger, facteur à Rouffach, réglée le 5 septembre 1895 (traduction de l’allemand) : «A été payé une note de M. J.A. Berger, maître facteur d’orgues à Rouffach en Haute Alsace : réparation en profondeur de l’orgue d’église 500 marks, réparation du soufflet 50 marks, deux claviers manuels neufs 120 marks, un pédalier neuf 30 marks, de nouveaux pommeaux de tirants de registres avec porcelaines pour les inscriptions 30 marks». Outre les 730 marks de cette facture, on paya encore 10 marks pour les «deux travailleurs à l’orgue» et 1,60 marks pour «huit grandes vis à bois pour le soufflet».
En 1914, c’est Koller, accordeur à Lörrach, en Allemagne, qui fut choisi pour entretenir l’instrument. Les tuyaux de façade furent réquisitionnés le 1er mars 1917 par l’administration allemande ; un tableau conservé dans les archives paroissiales indique que les 89 tuyaux pesaient alors 133,8 kilos. Ils donnèrent lieu à une indemnité de 904,70 marks. Contacté en 1920, Joseph Rinckenbach vit un instrument en «triste état» et répara le soufflet pour 85 francs. Mais ce n’est pas à cette date qu’il renouvela en zinc les tuyaux de façade, comme Meyer-Siat en fait l’hypothèse et Kœhlhœffer l’avance comme un fait établi (en parlant de tuyaux en «zing»}. Peut-être le renouvellement de ces tuyaux de façade fait-il partie de cette «réparation» pour laquelle Joseph Rinckenbach toucha 1 000 marks, selon une quittance du 7 février 1923 ? Le 25 mars 1928, le conseil de fabrique examina trois devis, deux de Rœthinger et un de Berger, pour environ 10 000 francs, et regretta que l’on ne puisse doter l’instrument d’une transmission pneumatique, ce qui serait revenu à environ 50 000 francs. Ce fut finalement Alfred Berger qui répara l’orgue en juin 1930, pour 11 475 francs. Outre de nouveaux tuyaux de façade en zinc, il posa deux jeux neufs, une Voix céleste au positif et un Violoncelle à la pédale, il changea aussi un jeu au grand-orgue (?) et posa un ventilateur électrique.
Les travaux de la maison Kern
A l’occasion de la réfection du plafond de l’église en juin-juillet 1952, du plâtre et autres gravats tombèrent dans l’instrument et plusieurs tuyaux furent même écrasés par la chute de planches d’échafaudage. L’expert nommé par les assurances estima le préjudice à 370.000 francs, ensuite ramené à 220.000 francs en raison de la vétusté de l’ouvrage. Rœthinger vint en mars 1953 et suggéra une restauration approfondie plutôt qu’un simple relevage, ce qui semble avoir inquiété le conseil de fabrique. En revanche, Alfred Kern, récemment installé à son compte à Strasbourg-Cronenbourg, visita l’orgue le 18 mai 1953 et estima la somme de 220 000 francs «très belle», dépassant de beaucoup la valeur des dégâts causés par le plâtrier ; «demander plus ne serait pas honnête». Le 24 mai 1953, il proposa néanmoins une transformation profonde, avec le rétablissement du positif de dos, la construction d’une nouvelle console en fenêtre, l’extension à 56 notes des sommiers manuels et à 30 notes de celui de la pédale, ainsi que plusieurs modifications de la composition.
Schwenkedel fut également consulté. Le jeune abbé Ringue vint lui aussi donner son avis le 20 juillet 1953 et recommanda Kern.
L’assurance du plâtrier consentit finalement à verser 300 000 francs, après une longue procédure. Dans un nouveau devis envoyé le 29 septembre 1953, Alfred Kern proposa de s’en tenir à 392 000 francs de travaux, sans construction d’une nouvelle console, avec quelques changements de jeux :
- Remplacement du Bourdon 8 du positif par un Nazard 2 2/3.
- Transformation de la Schweizerflöte 4 en Doublette 2.
- Remplacement de la Voix céleste par une Cymbale 3 rangs.
- Renouvellement de la Trompette 8 du grand-orgue, de «construction très primitive».
- Remplacement du Basson-Hautbois, «en très mauvais état», par un Cromorne.
Ce devis fut approuvé par le conseil de fabrique mais lors de la réalisation durant l’hiver 1954, les deux jeux d’anches proposés ne furent pas réalisés et les jeux anciens furent déposés à la sacristie en raison de leur piètre état, avant de disparaître durant les années suivantes. En revanche, deux tuyaux neufs furent livrés pour décaler d’un ton la Gambe du grand-orgue et un régulateur anti-secousses fut ajouté sous le sommier du grand-orgue, pour un montant total de 460.000 francs. L’instrument rénové fut inauguré le dimanche 28 mars 1954 par Joseph Mona, de Mulhouse.
En 1962, la maison Kern proposa à nouveau la confection d’une Trompette et d’un Cromorne, en cuivre et en spotted, pour 2 450 nouveaux francs. Mais rien ne se fit. Il fallut de nouveaux dommages causés aux tuyaux du positif par des travaux de peinture pour que l’on demande à la maison Kern un nouveau devis, qui fut envoyé le 27 février 1986. Outre un relevage chiffré à 94.000 francs hors taxes, il proposa de poser une Trompette et un Basson-Hautbois, soit neufs, soit d’occasion. L’Association de Restauration des Orgues D’Eschentzwiller, fut fondée le même 27 février 1986. Elle fit demander le classement des orgues au titre des Monuments historiques : la Commission supérieure des Monuments historiques donna un avis favorable au classement lors de la séance du 10 octobre 1986 et la partie instrumentale fut classée par arrêté du 16 octobre 1987. Sans attendre la signature de l’arrêté de classement, Marc Schaefer envoya le 25 novembre 1986 un «avant-projet de restauration-reconstruction», préconisant le retour à l’état de Silbermann, en conservant néanmoins la pédale du milieu du XIXème siècle. Mais sans en aviser la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Strasbourg ni prévenir Marc Schaefer, la commune signa le 11 avril 1988 un marché avec la maison Kern, sur les conseils de Jean-Christophe Tosi, expert au conseil général du Haut-Rhin. Pour un montant de 252.173,25 francs hors taxes, il était prévu un relevage de l’instrument, accompagné de quelques changements de jeux :
- Pose d’une Trompette neuve au grand-orgue.
- Remplacement de la Voix céleste 8 du positif par une Tierce 1 3/5.
- Pose d’un Cromorne neuf au positif.
- Remplacement du Violoncelle 8 de pédale par un Clairon 4.
La tuyauterie fut démontée au cours de l’été 1988. En cours de chantier, Daniel Kern proposa le remplacement en étain des tuyaux de façade en zinc, pour 95.000 francs hors taxes. Pour ces travaux complémentaires, la commune demanda une subvention aux Monuments historiques, par courrier du 4 octobre 1988. Apprenant ainsi que des travaux étaient en cours sur cet orgue classé, sans autorisation des Monuments historiques, le préfet ordonna le 24 octobre 1988 un arrêt sans délai du chantier et l’envoi du projet de restauration pour examen par la Commission supérieure des Monuments historiques. Lors de la séance du 9 décembre et dans le cadre d’une «communication diverse», la commission supérieure fut informée par le rapporteur Michel Chapuis des travaux en cours, sur la base d’un dossier de Marc Schaefer, mais le procès-verbal de ces débats ne garde pas la trace d’un échange sur le parti de restauration.
La conservation régionale des Monuments historiques interpréta cette délibération comme un avis favorable au devis de l’entreprise Kern mais elle demanda le maintien des tuyaux de façade en zinc, ce qui n’avait pas été évoqué à Paris, tout en chargeant Marc Schaefer du suivi des travaux. Les travaux s’achevèrent au printemps 1989 et furent inaugurés le 25 juin 1989 par Daniel Maurer, organiste à Mulhouse. Peu après, un plafond et un panneau arrière furent posés par Kern au positif, pour 3 800 francs hors taxes ; cette dépense fit l’objet d’une subvention de 40 % de la part des Monuments historiques.
La maison Kern revint à la charge en juin 1993 pour le remplacement en étain des tuyaux de façade mais cette proposition essuya un refus de la part de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Alsace, qui n’y voyait aucun caractère d’urgence. La commune relança cette demande en 2000 en transmettant un devis de Kern daté de1997. L’accord de la DRAC fut cette fois obtenu et de nouveaux tuyaux de façade furent posés durant l’été 2000, pour un montant de 126.500 francs hors taxes. Et l’histoire se répéta une fois encore : pour la troisième fois en un peu plus de cinquante ans : de nouveaux travaux de peinture réalisés en 2009 dans l’église provoquèrent des bosses et des projections de peinture sur ces tuyaux de façade tout neufs… Ces dommages furent réparés par Jean-Christian Guerrier, qui remplaça alors la maison Kern pour l’entretien de l’instrument.
La restauration de 2014-2016
Les travaux de 1989, complétés en 2000, n’avaient pas donné satisfaction et l’orgue présentait divers défauts :
- bien que majoritaire et très bien conservée, la tuyauterie de Silbermann avait été systématiquement recoupée. Sa taille était donc trop grosse, ce qui aurait pu lui conférer de la poésie, mais lui donnait plutôt une certaine mollesse. Pas un tuyau de Silbermann ne sonnait dans son harmonie d’origine, ce qui faussait totalement l’appréciation que l’on peut avoir de la facture de Silbermann.
- en raison de l’alimentation en vent et de la taille des gravures du sommier, la qualité du vent était très discutable. Dès que l’on tirait plus de trois ou quatre jeux ensemble et surtout le Bourdon 16 dans le plein-jeu ou dans un autre mélange, le vent dépressionnait fortement à l’attaque de l’accord, ce que même un auditeur profane pouvait bien entendre. Ce défaut congénital était lié à la facture même des sommiers et des porte-vents de Burger et ne pouvait être corrigé sans reconstruire les uns et les autres avec des sections mieux calculées. Le soufflet anti-secousses ajouté par Alfred Kern en 1954 n’avait d’ailleurs pas réussi à améliorer la qualité du vent.
- en raison de la console indépendante et de la mixité des systèmes de transmission (mécanique suspendue au positif et non suspendue au grand-orgue), le toucher des claviers était assez grossier et ne permettait pas de tirer tout le parti musical que l’on aurait pu attendre de la tuyauterie du XVIIIème siècle. Si les claviers pris isolément n’étaient pas trop durs, le toucher devenait très résistant et quasiment injouable lorsque l’on accouplait les claviers.
- l’état hérité de la fin du XXème siècle était hybride et peu satisfaisant, avec une structure du milieu du XIXème siècle cohabitant avec des jeux refaits à la manière baroque comme le Nazard, la Tierce et le Cromorne du positif mais qui n’en faisaient pas pour autant un orgue baroque.
- alors que le dessin d’origine des buffets de Silbermann était un modèle d’élégance et de proportions, le buffet d’Eschentzwiller était indéniablement plus lourd et plus disproportionné et l’on ne pouvait que souhaiter un retour aux équilibres originels.
L’étude préalable rendue en 2012 par Christian Lutz constata que la reconstitution de l’état de 1743 ne posait guère de problèmes, avec une part très limitée d’incertitudes : la composition d’origine était connue avec certitude, les archives Silbermann fournissaient de nombreuses données, y compris les dimensions des sommiers et des soufflets, et nombreux étaient les autres orgues de Silbermann qui pouvaient servir de modèles. Par ailleurs, l’orgue d’Eschentzwiller offrait la dernière opportunité qui subsistait de restituer ce modèle d’orgues de couvent de quatre pieds et trois claviers. A Sundhouse, la trop faible hauteur sous plafond rend irréalisable toute tentative de restitution du grand buffet et à Altkirch il reste bien trop peu de reliquats, d’autant que l’orgue Rinckenbach qui s’y trouve présente également une indiscutable valeur patrimoniale.
Ce parti de restauration fut approuvé par la Commission nationale des Monuments historiques lors de la séance du 18 octobre 2012. La réutilisation de la pédale de Burger, étudiée sous forme de variante, fut alors écartée et il fut décidé de restituer la pédale de deux jeux et 25 notes de Silbermann, avec pour seul compromis l’ajout d’une tirasse du grand-orgue, qui n’existait pas dans l’instrument d’origine. Une première consultation des entreprises, au printemps 2013, conduisit à choisir l’entreprise Blumenrœder pour la restauration de l’orgue. Mais suite à une requête en référé contractuel déposée par les entreprises Dott, Guerrier, Kern et Muhleisen, exploitant une faille dans la procédure, cette première consultation fut annulée. Une seconde consultation fut alors menée à l’automne 2013 et le choix de Quentin Blumenrœder fut confirmé, pour un montant de 303.342 € hors taxes. Le chantier de restauration se déroula de novembre 2014 à septembre 2016. L’instrument restauré a été inauguré les 16 et 18 septembre 2016 par Benjamin Alard, avec le concours du Chœur des Trois Frontières, dirigé par Jean-Marie Curti.
La composition s’établit à présent ainsi :
Le point de vue du restaurateur
Quentin Blumenrœder
Plutôt que de parler d’une restauration de l’orgue d’Eschentzwiller, il conviendrait d’évoquer une reconstruction, tant le nombre de pièces neuves est important. Cela ne diminue pourtant en rien l’importance historique de cet instrument et les découvertes que cette restauration-reconstruction aura permise. D’autant que les éléments anciens sont répartis dans tout l’instrument et restent en grand nombre, surtout en matière de tuyauterie. Même si aucun élément n’a été épargné par les interventions successives, les traces et les particularités des pièces concernées ont permis de retrouver les proportions, la disposition, le cheminement du vent, etc.
Pour reconstituer le puzzle, il a fallu visiter un grand nombre d’instruments du même facteur et de même type, c’est-à-dire avec un buffet en quatre pieds. Les principaux orgues visités ont été Saint-Quirin (1746), Soultz-les-Bains (1762) et Sundhouse (1750). Chacun d’entre eux contient des éléments uniques ; plusieurs visites ont été parfois nécessaires pour comprendre des reliquats qui pouvaient paraître anecdotiques mais indispensables à la compréhension de l’œuvre. Ce travail de recherche a été principalement mené par Christian Schalck, avec la réalisation des plans. Nous avons été long et minutieux, tant pour le buffet que pour la tuyauterie, travaillant également avec la complicité de Vincent Nœppel. Une fois de plus les résultats de ces recherches se sont avérés prépondérants quant au résultat final de l’instrument.
Le buffet
L’élément le plus complet de l’orgue est incontestablement le buffet : de proportion remarquable, avec un grand corps très élancé et une ornementation des plus riches. En réalisant un retour à l’instrument construit par Johann Andreas Silbermann, nous redécouvrons une silhouette que ce facteur confectionna à plusieurs reprises. Aucun de ces instruments n’est arrivé à nous en conservant ses proportions d’origine.
Il est plus rapide de mentionner les parties neuves, tant les pièces d’origine de ce buffet sont nombreuses, et encore, bien des parties reconstituées le sont avec des éléments d’origine, ou de récupération de 1848 (Burger). Ont ainsi été reconstitués,
au grand corps :
- toute la face arrière (les parties arrière des trois chapeaux sont anciens)
- la partie supérieure de la façade du soubassement, avec son panneautage
- une partie des cadres de porte des côtés sous les écoinçons des petits compléments dans la ceinture
- la semelle
- les côtés de l’orgue, récupérés de Burger, redimensionnés et repanneautés.
- les plafonds et côtés entre les tourelles (les plafonds des chapeaux sont d’origine).
au positif :
- la ceinture basse, qui a été rallongée
- la face arrière
- le plafond et les côtés entre les tourelles
- quelques lacunes dans les sculptures
à la clôture de pédale :
- les retours au revers des écoinçons
- la moulure de couronnement et la plinthe tout autour de l’instrument.
Cette courte liste montre à quel point ce buffet a traversé les âges en conservant la majorité de sa structure, malgré une transformation radicale au XIXème siècle.
Le buffet reconstitué dans les ateliers de Q.Blumenrœder : les parties neuves apparaissent en clair
Photo : J.P.Lerch
Pour comprendre les modifications apportées au cours des deux siècles d’existence de cet instrument, il importe de les détailler. Lorsque Henry déplaça l’orgue du couvent des Unterlinden de Colmar à l’église paroissiale d’Eschentzwiller, la hauteur de la tribune n’était pas suffisante. Il réalisa deux modifications : l’abaissement de la semelle de 30 mm et la dépose des ornements de couronnement des tourelles du grand-orgue qu’il disposa sur les tourelles du Positif.
Burger, en 1848, avait besoin d’une plus grande hauteur au-dessus de la ceinture pour loger une Montre de 8 pieds. Pour ce faire il abaissa le soubassement et réalisa de nouveaux montants aux tourelles. C’est pour loger les deux grands sommiers qu’il élargit le buffet en modifiant totalement les proportions. C’est ce même facteur qui plaça la console dans le positif de dos en le déstructurant.
Le travail de retour à l’état d’origine du buffet, réalisé par Pierrick Trœsch avec l’aide d’Arthur Kuntz, fut passionnant, avec une recherche importante qui rendit tout sa majesté à cet instrument. Citons à titre d’exemple la redécouverte de la traverse entre les deux tourelles du positif de dos ; sans une étude approfondie des reliquats de l’instrument et surtout de ceux de Sundhouse, nous n’aurions pas reconstitué cette grande traverse qui relie les deux chapeaux du positif. Outre un très bel aspect visuel, la forte inclinaison du plafond restitue le rôle d’abat-son.
Les sculptures, d’une importance similaire à la décoration des grands instruments de Silbermann, donnent un effet de richesse incroyable, en raison de la nervosité du trait de sculpture de Nahl et de la faible surface de ce buffet de quatre pieds sur lequel sont répartis ces ornements. Les reprises ont été réalisées par Marc Frohn, Meilleur Ouvrier de France, sculpteur à Hohwiller.
Décor restauré avant finition
Photo : J.P.Lerch
Un plan qui démontre la magnifique qualité des sculptures de Johann August Nahl
Photo: J.P.Lerch
Outre le fait que ce buffet est l’un des premiers réalisés par Johann Andreas Silbermann, il est également le premier muni du fameux trilobé qui sera la marque de fabrique du jeune facteur d’orgues. Signalons également que le buffet du Positif de dos est le seul meuble qui ait été réalisé dans les ateliers Silbermann. La règle des corporations interdisait au facteur d’orgues de réaliser les buffets et ferronneries. La qualité de ce meuble est d’ailleurs nettement en dessous de ce que nous trouvons au grand-orgue et dans le reste de la production des Silbermann.
La particularité la plus marquante de ce buffet se trouve dans la clôture de pédale. Alors qu’elles sont toujours réalisées en sapin chez les Silbermann, puisque non visibles depuis la nef, celle-ci est entièrement en chêne, avec une belle mouluration. Cela s’explique peut-être par le fait que la tribune où était situé l’orgue servait aussi de chœur pour les moniales, lors de certains offices, et que l’arrière de l’instrument était donc bien visible par les religieuses.
La partie instrumentale
La mécanique et les sommiers ont bien plus souffert des campagnes de travaux des XIXème et XXème siècles. L’ancien sommier du Grand orgue installé par Burger en 1848 n’a pas pu être réutilisé. Le seul élément important qui ait subsisté est le sommier du positif :
Sommier du Positif en cours de remontage
Photo : J.P.Lerch
Ce sommier aura apporté beaucoup d’informations sur la conception d’origine. Il a fait l’objet d’une restauration totale avec un démontage complet et sa face inférieure a été mise à nu. Il a fallu déposer le petit sommier additionnel pour les notes ajoutées dans l’aigu. C’est justement le reliquat de ces chapes et le reste de gravage de Silbermann qui aura permis de déterminer la taille de la Trompette neuve. La logique de départ était de s’orienter vers une Trompette de petite taille puisque nommée par Silbermann comme «de Récit». L’étude des textes de Johann Andreas Silbermann montre que le «Récit» veut dire un dessus. Mais c’est la taille de la Trompette du grand-orgue d’Ebersmunster qui correspond le mieux aux emplacements des perces d’origine. C’est donc ce modèle qui a été choisi.
La table a demandé un travail important avec le colmatage de toutes les fentes. Nous avons inséré des flipots en tilleul, une essence de bois qui conserve de la souplesse dans le temps. Ils acceptent ainsi des petites variations du bois sans se décoller.
D’autre pièces ont été conservées et replacées dans l’orgue :
- la majeure partie des bras de mécanique de tirage des jeux
- un certain nombre de vergettes marquées du nom de note par Johann Andreas Silbermann (ce qui est rare chez ce facteur)
- de nombreux postages en plomb, dont presque tous ceux du Cornet de grand-orgue
- les chapes des tuyaux de façade.
Ce sont là les seuls éléments fonctionnels de l’orgue qui aient été conservés.
Les parties neuves
Une console neuve a été réalisée dans sa totalité. Deux modèles ont servi de référence : la console de Saint-Thomas de Strasbourg, aujourd’hui déposée dans la nef, et celle de Soultz-les-Bains. Il faut encore ajouter Saint-Quirin pour les étiquettes de la fenêtre des claviers et Sundhouse pour les étiquettes du positif. Nous avons respecté la chronologie de Silbermann pour la réalisation de cette console. Les claviers de grand-orgue et d’écho ont été réalisés à la dimension standard d’un orgue de deux claviers. Nous avons ensuite inséré le clavier de positif en dessous, avec les dimensions ajustées aux deux autres claviers. Toutes les dimensions des placages, des feintes, etc. ont été copiées à Saint-Thomas de Strasbourg. Réalisés par Joël Weissenburger, ces claviers sont en chêne, tant pour les cadres que pour les touches. Les plaquages de naturelles sont en ébène, les feintes en poirier teinté, plaquées d’os. Des draps de laine assurent le fond de course, conformément aux pratiques du XVIIIème siècle. Les proportions des claviers sont légèrement différentes de celles d’Andreas Silbermann qui utilisait des palettes de 34 mm de long. Nous avons repris la longueur employée par son fils, 36 mm, et situé les points d’accroche plus en arrière. Les frontons de touche ne comportent pas de décor mais sont simplement teintés.
Principalement mise en œuvre par Sharon Rosner, la fenêtre des claviers est entièrement neuve, avec son cadre et ses portes. Le pupitre est très largement inspiré des modèles Silbermann. Le comité de suivi des travaux a fait le choix de réaliser ce pupitre plus large pour plus de confort et éviter des agrandissements sauvages postérieurs. Nous avons fait le choix de ne pas mettre en teinte l’intérieur de la console à l’exception du revers des portes de la fenêtre.
Calligraphiées par Bruno Weigel, les étiquettes manuscrites du grand-orgue, de l’écho et de la pédale sont copiées sur celles de Saint-Quirin. L’instrument de Sundhouse est le modèle de celles du positif de dos . Le papier utilisé date du XVIIIème siècle.
Photo : J.P.Lerch
La mécanique de tirage des notes a été réalisée par Jean-Marc Walter pour les abrégés et balanciers et par Vincent Nœppel pour les vergettes et crochets. Ces éléments sont principalement copiés sur l’orgue de Soultz-les-Bains. L’abrégé du grand-orgue est d’une seule pièce et de grande taille. Toutes les pièces qui constituent cette mécanique sont scrupuleusement copiées.
L’ajout d’un clavier supplémentaire a modifié la hauteur disponible pour l’abrégé du grand-orgue.Comme Johann Andréas Silbermann en 1743, il a fallu modifier cet abrégé pour que l’ensemble des rouleaux entre dans la hauteur disponible. Les vergettes en épicéa sont renforcées de parchemin en bout. Ce parchemin ancien date du XVIIIème siècle. Toutes les vergettes conservées de Johann Andreas Silbermann ont été replacées dans l’instrument. Comme elles ont été, pour certaines, recoupées par Burger, il ne fut pas possible de les replacer systématiquement sur leur note d’origine. C’est le cas des anciennes vergettes d’écho qui n’auraient pu être réinstallées sur ce plan sonore sans une grande rallonge, ce qui aurait posé des problèmes de souplesse. C’est donc à la tirasse que ces vergettes d’écho ont été installées. Signalons que l’écho n’a pas d’abrégé, mais des vergettes en éventail. La mécanique de pédale comporte un grand abrégé sous les claviers, qui reporte le mouvement vers l’extérieur, deux séries de doubles-balanciers pour renvoyer le mouvement vers l’arrière, et sous les sommiers de Pédale deux abrégés en fer forgé, qui rattrapent la division entre les balanciers et les sommiers.
Face arrière de la nouvelle console. On distingue les trois claviers, les vergettes verticales du clavier II, les vergettes en évantail du demi-clavier de l’écho, ainsi que la laye du sommier d’Echo.
Photo : J.P.Lerch
La tirasse est le seul arrangement que nous ayons concédé à l’histoire. En effet cet instrument ne comportait pas de tirasse à l’origine. En raison des possibilités musicales qu’offre cet ajout, la Commission nationale des Monument historiques l’a validée. Nous l’avons réalisé en faisant en sorte que la mécanique du clavier ne soit en rien modifiée dans son toucher. Des balanciers de part et d’autre des claviers permettent d’appeler cette tirasse. Ils sont reliés à un train de vergettes qui vient tirer sur les rouleaux de l’abrégé du grand-orgue. Ces vergettes sont relevées par un petit ressort, de sorte que leur poids ne tire pas sur la mécanique du clavier manuel et n’en influence pas le toucher.
La mécanique de tirage des jeux est d’une grande simplicité comme toujours chez les Silbermann. Ce sont des simples rouleaux octogonaux fichés de bras en fer forgé. Toute cette mécanique de jeux est en chêne.
Les sommiers neufs
Joël Weissenburger, Bruno Weigel et Jean-Marc Walter ont réalisé les sommiers du grand-orgue de l’écho et de la pédale. Pour le grand-orgue, il s’agit d’une copie de l’orgue de Soultz-les-Bains (orgue réalisé par Johann Andreas Silbermann en 1762 pour le chœur catholique de l’église Saint-Pierre-Le-Jeune à Strasbourg). Le sommier d’écho a été construit selon le modèle de Saint-Quirin et la pédale copiée à Altorf. La seule entorse aux modèles copiés, est la réalisation des tables en trois couches de chêne contre-collées.
Tous ces sommiers sont à table et laye à l’avant, sauf à l’écho où la laye s’ouvre vers l’arrière. Ils ont été réalisés avec du chêne ancien et lavé, pour diminuer les vapeurs de tanin qui corrodent le plomb des pieds de tuyaux. L’ordre des chapes depuis la façade est : Prestant 4, Cornet, Bourdon 8, Flutte 4, Nazard 2 2/3, Doublette 2, Tierce 1 3/5, Fourniture 3 rangs, Cromhorne 8. Les soupapes ont toutes la même dimension ce qui est normal chez les Silbermann mais très rare dans la facture du XVIIIème siècle.
Au sommier d’écho qui alimente un Cornet décomposé, les dimensions sont : longueur 568 mm, profondeur 380 mm. L’ordre des chapes de l’avant vers l’arrière est : Bourdon 8, Prestant 4 Cornet 3 rangs.
Les deux sommiers de pédale sont de dimensions différentes comme toujours chez les Silbermann. Côté Do : longueur 1 440 mm, profondeur 354 mm et côté # : longueur 1 320 mm, profondeur 354 mm. Situés dans la clôture de pédale, ils sont placés 10 cm plus bas qu’à l’origine. En effet la soufflerie est disposée au-dessus de la pédale et il fallait pouvoir passer les tuyaux de 8′ en dessous du porte-vent collecteur. La chape de Trompette 8 est devant et la Basse 8 est derrière.
La soufflerie
Cet ensemble est constitué de trois soufflets cunéiformes, d’une charpente, de porte-vent et de deux tremblants. Le tout a été réalisé par Jean-Marc Walter et Bruno Weigel.
Les trois soufflets à six plis ont une longueur de 1 840 mm et une largeur de 1 032 mm. Ils ont été réalisés en analysant les modèles de Wintzenbach, Soultz-les-Bains et du Positif du Musée des Arts décoratifs de Strasbourg. Ce sont là avec ceux du positif du Mont-Sainte-Odile (Johann Andréas Silbermann 1737) les seuls soufflets de Silbermann qui soient conservés. Un autre reliquat fut fort instructif : les restes des soufflets Sauer de Niedersteinbach (1808). Les peaux utilisées ne sont pas en mouton comme à l’origine mais en veau. Le veau, d’ailleurs utilisé par Silbermann pour les aines, contient beaucoup moins de tanin que le mouton. C’est donc par souci de conservation que nous avons réalisé cette entorse à la copie.
Les tables sont en sapin avec des alaises en chêne. Les éclisses sont en sapin de 3 mm d’épaisseur. Cette grande finesse permet une faible variation de pression malgré l’ajout du poids des éclisses au fur et à mesure de la levée des soufflets. La différence sur toute la course d’un soufflet est inférieure à 3 mm, avec des peaux neuves qui vont encore s’assouplir. Les clapets antiretour sont à cadre tendu d’une peau.
La charpente a été réalisée sur la base de celle visible à Châtenois (Johann Andreas Silbermann 1765). Si sur cet orgue les soufflets et poulies sont neufs, la charpente est d’origine. Les poulies sont basées sur les marques des anciennes poulies de Châtenois, elles correspondent aux marques que l’on retrouve à Niedersteinbach. Les seules poulies conservées de Silbermann sont au Mont-Sainte-Odile et dans le positif du musée des Arts décoratifs de Strasbourg. Ces orgues, bien que de taile modeste, ont servi de modèles pour la forme extérieure des poulies et pour les accroches de cordes. Finalement la principale référence est le noyau de poulie conservé de l’orgue Sauer de Niedersteinbach.
Les trois soufflets cunéiformes sont actionnés soit électriquement soit manuellement à l’aide de leur poulie respective.
Photo : J.P.Lerch
Pour les porte-vent et tremblants il a été nécessaire de visiter les orgues d’Ebersmunster, de Gries, de Saint-Quirin et de Soultz-les-Bains et faire de nombreux recoupements afin de déterminer les modifications et dispositions d’origine sur ces instruments. Nous avons consacré un temps important à ces recherches, mais le résultat est remarquable avec une grande stabilité du vent qui peut même être surprenante pour l’époque, surtout au grand-orgue.
Le tremblant doux est courant dans ce type d’orgue, le tremblant fort est plus rare en Alsace. C’est à Gries (instrument que Johann Andreas Silbermann réalisa en 1781) que nous avons copié ce tremblant fort. Il reste à comprendre l’utilisation de ces tremblants forts qui ne sont jamais utilisés de nos jours. Espérons que cette reconstruction puisse apporter des réponses quant à la façon dont on jouait à l’époque de cet artifice.
Les deux tremblants : en haut le mécanisme du tremblant doux, en bas le tremblant fort.
Photo : J.P.Lerch
La tuyauterie
Le travail de reclassement de cette tuyauterie s’est avéré très important. Silbermann ne marquant que les Do, on ne peut se baser sur sa notation (à l’exception des tuyaux de pleins-jeux). Fort heureusement Henry, en démontant l’orgue, a marqué tout l’orgue en commençant par la tuyauterie. Les Do marqués par Silbermann prouvent qu’il n’a pas opéré de décalage et remonta l’instrument tel quel. Il faut cependant mentionner qu’à l’occasion du déménagement de 1793, la Quinte du positif fut décalée en Prestant, comme en témoignent les marques sur les quatre tuyaux intérieurs conservés.
Ce qui a compliqué le tri de ces tuyaux, c’est l’incroyable mélange, avec parfois juste quelques tuyaux d’un autre plan sonore qui sont insérés dans un jeu. Mais c’est finalement ce mélange qui a permis de déterminer toutes les tailles de l’orgue. Nous pouvons remarquer que le Bourdon du Cornet d’écho est de grosse taille ce qui n’est pas habituel chez les Silbermann. Il est incontestable que nous n’aurions pas fait ce choix si cinq de ses tuyaux n’avait été retrouvés dans le Bourdon 8 du Cornet du grand-orgue. Tous ces tuyaux ont fait l’objet d’une restauration et d’un rallongement. En effet le diapason d’origine de 392 Hz avait été remonté à 415 Hz par recoupe puis à 440 Hz par décalage des tuyaux. Les dégâts étaient presque tous liés à des interventions humaines intentionnelles ou maladroites, notamment au niveau des pieds qui ont été refermés de manière violente ou avec des bosses importantes. Pascal Steinmetz et Vincent Nœppel réalisèrent cette délicate opération de restauration des tuyaux en métal.
Pour le métal, des recherches ont été menées pour déterminer et retrouver un martelage conforme aux pratiques de Silbermann. Les tuyaux complémentaires ont tous été réalisés selon les mêmes techniques de traitement du métal que pratiquait Johann Andréas Silbermann : recours au laminoir, au martelage, au racloir, au brunissage et à la coulée sur épaisseur, sans vouloir tout détailler. Seuls les trois jeux d’anches sont entièrement neufs. Le Cromorne a été copié sur celui de Saint-Quirin. Le dessus de Trompette du Positif a la même taille que celle de la Trompette du grand-orgue d’Ebersmunster. La Trompette de pédale est une copie de celle de Saint-Thomas de Strasbourg. Le jeu de Doublette du positif est constitué de tuyaux de récupération. Ils portent encore le nom «allemand» de leur note, écrit par Andreas Silbermann sur l’aplatissage sous leurs bouches (cf. photo ci dessous). Correspondance : A = la, B = sib, C = do, D = ré, E = mi, F = fa, G = sol, H = si.
Photo : Qu.Blumenrœder
Marco Venegoni, tuyautier en Suisse fabriqua tous les tuyaux neufs de cet instrument. La réalisation de ceux de la façade s’avéra très compliquée et nécessita de méticuleuses recherches. Il a fallu retrouver la longueur des pieds qui diffère, pour chaque tuyau, selon sa position dans l’orgue. Ce sont les tuyaux anciens qui permirent de déterminer ces longueurs, ainsi que les mesures réalisées sur la façade de Sundhouse. Sur la photo ci-dessous on distingue les pièces neuves, mais surtout les anciens tuyaux avec leurs allongements caractéristiques destinés à retrouver le diapason d’origine.
Tuyauterie du clavier d’Echo
Photo : J.P.Lerch
La coulée du métal dans des alliages si riche (95 % d’étain) n’est pas chose facile, surtout lorsque celui-ci n’est pas passé au tambour pour en ajuster les épaisseurs. L’opération de martelage est fastidieuse mais apporte une rigidité supplémentaire. Il a fallu, ensuite, faire la finition du métal avec un raclage manuel important. La dernière finition a consisté à brunir le métal à l’aide d’un brunissoir. Cette opération d’écrouissage augmente encore la rigidité, et apporte un brillant qui ne disparaît pas, malgré l’oxydation du métal.
Conformément aux recommandations des scientifiques du Musée de la Musique à Paris, nous avons appliqué un vernis à la gomme laque, teinté par incorporation de pigments naturels très fins, sur le métal neuf. Deux nuances de teintes ont été nécessaires en raison des différences entre le positif et le grand-orgue. Pour obtenir une uniformité relative, en accord avec les tuyaux anciens, l’application est plutôt délicate. Un premier essai de mise en teinte s’est avéré trop uni et trop clair. Il a fallu reprendre le travail à plusieurs reprises pour obtenir un résultat satisfaisant. A présent il est très difficile de différencier les tuyaux anciens des neufs. Ceux de la tourelle du grand-orgue sont, à l’exception d’un seul, non traités. L’étude du processus d’application, les essais de colorimétrie et la technique d’application revinrent à Christian Schalck.
Sur cette prise de vue du grand-orgue les ailes sont positionnées comme elles l’étaient avant la restauration. Mais en comparant la photo au dessin original de Johann Andreas Silbermann on se rendit compte de l’inversion gauche-droite commise lors du remontage en 1792. Entre-temps elles ont retrouvé leur position initiale prévue par Silbermann.
Photo : J.P.Lerch
L’harmonie
Tous les visiteurs et mélomanes seront surpris par la douceur de l’instrument. Les caractéristiques des tuyaux de cet orgue sont uniques dans l’œuvre de Johann Andreas Silbermann (en l’état actuel de nos connaissances). Mais il est probable que d’autres instruments destinés à des couvents de moniales aient été réalisés selon les mêmes caractéristiques. Les bouches sont bien plus basses sur les Bourdons et la Fourniture qu’à l’ordinaire. Aucune bouche n’est au 1/3 (large) mais va du 1/4 dans les basses à 1/5 dans les aigus. Il faut rappeler que les bouches larges sonnent plus fort que les bouches étroites.
C’est une information supplémentaire sur les différences entre les techniques d’harmonie que les Silbermann adoptaient en fonction de la destination de l’instrument. A l’église Sainte-Aurélie de Strasbourg, où les paroissiens protestants chantaient fort et étaient accompagnés par l’orgue, de nombreux jeux ont des bouches au 1/3. A Eschentzwiller, les Bourdons du grand-orgue et de l’écho ont des ouvertures de bouches d’une hauteur de plus ou moins 1/4 au lieu du grand 1/3 habituel. Les bouches, dans les basses du Nazard bouché, sont encore plus basses. De même, la Doublette est particulière avec une grosse taille de Quarte de Nazard dans la basse pour finir sur une taille plus standard dans les aigus. Ces dispositions, avec les jeux de mutation plus faibles, donnent une profondeur et des mélanges très unis dans la basse. Certains mélanges donnent l’impression qu’un instrument de basson sonne dans l’orgue. Cet orgue ne comprend que trois rangs de pleins jeux. Toutes ces particularités sont destinées à rendre l’orgue doux. Le Positif est très différent avec des principaux plus étroits, correspondant aux traditions des Silbermann. Le Bourdon de ce plan sonore est en revanche très particulier : de taille plus étroite et surtout à bouche large et haute. Serait-ce une influence du retour de Saxe de Johann Andreas ?
Finalement la forme des bouches compense la différence de taille et les deux Bourdons sont assez similaires sur le plan de la sonorité. Malheureusement l’harmonie de cet instrument a été bien malmenée au cours du temps. Les dents nombreuses de Johann Andreas Silbermann ont été fortement agrandies et approfondies. De plus les pieds ont été considérablement refermés. Les tuyaux de bois ont eu les bouches systématiquement rehaussées, à moindre échelle certains tuyaux de métal ont subi le même sort.
Les opérations nécessaires pour revenir sur ces modifications sont bien les plus délicates qu’il faille mener sur les tuyaux à bouche. Refermer des dents sans abîmer les biseaux, sans créer de parasites, est une opération qui demande une grande dextérité. Pour retrouver des attaques et du tranchant, il est impératif de passer par ces étapes de retour en arrière. Nous avons fait le choix de ne pas rabaisser les bouches qui ont été ponctuellement remontées et d’accepter les légères différences de son qui n’altèrent pas la musicalité. Tous les tuyaux de bois en revanche ont été complètement repris avec les bouches rabaissées, les pentes des biseaux restituées et les lumières affinées. Les essais de pressions nous ont conduits à choisir une pression de 61 mm de colonne d’eau. Il est évident que l’harmonie des jeux d’anches à une telle pression est difficile, et ce d’autant plus que ces jeux sont posés sur des chapes gravées. De plus le Cromorne est situé en bout de gravure à l’arrière du sommier du grand-orgue. Dans ses cahiers, Silbermann se plaint que lors du montage de l’orgue des Dominicaines de Sylo à Sélestat, orgue de 1750 réalisé sur le modèle de celui des Unterlinden de Colmar, il eut beaucoup de peine à terminer l’harmonie du Cromorne, «en raison du vent faible».
Le tempérament
L’orgue a été accordé selon le tempérament (manière de répartir les douze demi-tons de l’octave inégalement) retrouvé sur le positif du Musée des Arts Décoratifs de Strasbourg. Tout laisse à croire que c’est Johann Andreas Silbermann qui est l’auteur de ce tempérament en 1730. Il correspond aux différents textes de Johann Andreas, ou de ses contemporains. Les allusions autographes portent à croire que ce tempérament fut utilisé toute sa carrière et justifie sa pose sur l’orgue d’Eschentzwiller.
Ce tempérament basé sur le 5ème de comas pythagoricien est construit selon le schéma ci-dessous :
- les quintes marquées d’un «0» sont pures
- les quintes marquées d’un «-1/5» sont rétrécies.